En
effet, après de nombreuses expériences de synchronisation du son
(particulièrement de la musique) et de l’image, c’est à partir
du film de 1927 The Jazz Singer, film d’Alan Crosland, que le
cinéma devient réellement sonore.
Les
paroles synchrones de l’acteur Al Johnson furent un choc même si
le système «Vitaphone » (de synchronisation d’un disque et de la
pellicule) utilisé sur ce film n’était qu’une technique
intermédiaire. Pendant les trente premières années du cinéma, que
l'on nomme génériquement le « cinéma muet », les projections
sont loin d'être silencieuses ; il y a dans la salle un bonimenteur,
une musique d'accompagnement, ou même parfois des essais de
«synchronisation vivante » avec des acteurs ou des chanteurs cachés
derrière l'écran, éventuellement en liaison avec un système de
bruitage.
Le bonimenteur :
Les
bonimenteurs racontent, commentent l'action, la situent dans l'espace
et le temps, prêtent leur voix aux acteurs, révèlent leurs
pensées, leurs sentiments. Ils lisent les intertitres à un public
majoritairement analphabète (le cinéma est à ses débuts un
spectacle de foire), les traduisent aussi pour les films étrangers.
Ces
intertitres, de la simple explication à l'interprétation, doublent
un temps le rôle du bonimenteur jusqu'à l'éclipser tout à fait
(vers 1909 pour la France, le langage cinématographique s'élaborant
alors que le public se familiarise avec les images animées). Leur
emploi est aussi varié. Ils présentent les protagonistes, les
acteurs, donnent des indications spatio-temporelles, résument les
ellipses narratives, annoncent la suite des événements ou
retranscrivent les dialogues. Quels dialogues direz-vous ? Ceux
auxquels la caméra reste sourde lorsqu'elle filme l'agitation
incessante des lèvres d'acteurs qui se parlent, téléphonent et
même chantent. Ce cinéma, dit muet a posteriori (plutôt « sourd »
selon Chion), loin de nier la voix ou d'en faire le deuil, la fait
imaginer.
La
musique :
La
musique est le plus souvent jouée en « direct » dans la salle au
cours de la projection ; par un pianiste, une petite formation ou un
orchestre qui interprètent une partition généralement constituée
d'un enchaînement de morceaux existants et arrangés pour l'occasion
ou, parfois, une partition originale.
Nombreux
sont les compositeurs à écrire pour le cinéma ou pour le ballet
mais les conditions dans lesquelles leurs œuvres sont données ne
peuvent toujours les satisfaire. Si dans les grandes villes, où
plusieurs théâtres se sont convertis en salles de cinéma, on
dispose de leur orchestre, dans les plus petites, les films passent
avec un accompagnement quelconque.
Bruits
de coulisses et « synchronisation vivante » :
Pour
gagner en vraisemblance, on a recours à tout un matériel de
bruitage, du plus improvisé au plus perfectionné. Mais cet attirail
encombrant, sinon coûteux, n'est pas à la portée de la plupart des
exploitants de cinéma.
Ceux-ci
doivent généralement se contenter d'une petite table supportant une
tôle rouillée, un timbre de sonnerie, une trompe d'auto, un
sifflet, un pistolet et aussi un panier plein de tessons.
Un
article de Ciné-journal du 17 mai 1909, présente le cinémultiphone
Rousselot, « ce meuble électrique à clavier capable de produire
soixante bruits fondateurs destinés à accompagner les films ».
Les
procédés techniques (mécaniques et optiques) :
C'est
à ces modes de sonorisation extra cinématographiques, si l'on peut
dire, que le public est habitué jusqu'à l'avènement du parlant.
Pourtant,
parallèlement, pendant les quinze premières années, en France
(Auguste Baron, Pathé, Gaumont, Joly...), aux États-Unis, en
Grande-Bretagne, en Allemagne et dans les pays scandinaves, les
brevets et bricolages en tous genres présentés aux expositions
universelles pour inventer le film parlant se multiplient. Les
appareils de prises de vues et de projection à peine inventés, on
pense à les accoupler mécaniquement à leur frère aîné, le
phonographe. Ces systèmes d'asservissement d'un magnétophone à la
caméra et au projecteur par un moteur électrique révèlent presque
toujours une mauvaise synchronisation. Non seulement les syllabes
prononcées ne correspondent pas toujours aux mouvements des lèvres
mais il n'est pas rare d'entendre encore la voix quand la bouche est
visiblement fermée.
Ce
problème essentiel ne sera dépassé qu'avec le chronophone Gaumont
(présenté à l'exposition universelle de 1900, amélioré en 1902,
il n'est lancé commercialement qu'en août 1906) puis avec le
chronomégaphone (1908) qui permet l'amplification des sons
nécessaire aux projections dans les grandes salles mais du même
coup celle des bruits parasites et distorsions qui rendent parfois la
scène inaudible.
Pourtant
plusieurs de ces systèmes (celui de Gaumont et, entre autres, son
équivalent chez le concurrent direct, Pathé) ont une petite vie
commerciale. Les premiers essais sont des bandes chantées par les
vedettes de l'époque, Yvette Guilbert avec Le Fiacre, La Berceuse
verte (Pathé, 1905) ou des scènes d'opéras et d'opérette ou
encore des monologues comiques. Cependant, assez vite, les
difficultés techniques d'enregistrement limitent la variété de ces
scènes chantantes. On ne peut filmer acteurs et chanteurs devant un
cornet et une deuxième opération reste nécessaire, en 1906 comme
en 1896, pour synchroniser leurs gestes et leurs paroles devant la
caméra.
C'est
tout simplement du play-back.
Les
autres tentatives, qui aboutiront en 1926, sont les procédés
d'enregistrement du son sur film au moyen de procédés optiques. Le
frottement de l'aiguille, l'usure du disque, la nécessité
d'utiliser plusieurs disques pour les films parlants de quelque
longueur l'ont amené à collaborer avec deux ingénieurs danois,
Petersen et Poulsen, pour mettre au point les films sonores exploités
par la suite. En Angleterre, les recherches de Lauste entreprises
depuis 1904 sont couronnées par l'obtention d'un premier brevet en
août 1907, puis de deux autres en 1908 et 1910. Ce dernier, adopté
en 1930 avec une guerre internationale des brevets, permet la
réalisation des premiers enregistrements photo-électriques des sons
sur film selon un procédé dit, plus tard, à « élongation
variable ». Quelques années de mise au point seront nécessaires
avant que ce procédé ne modifie irrémédiablement la production.
Retard
du parlant :
Les
problèmes techniques ont pu, après l'engouement de la nouvelle
attraction, décourager le public, mais d'autres raisons conjuguées
vont retarder l'arrivée du parlant : le changement du système
d'exploitation a entraîné une crise économique à la fin de cette
première décennie (le « parlant » est à la portée des seules
grandes salles) ; selon les historiens, le « sujet » est alors en
crise et, les premiers essais de cinéma parlant ont semblé d'une
nouveauté limitée. Peut-être la « soif du verbe » elle-même
s'est atténuée, la parole n'étant plus sentie comme un manque.
Les
maisons spécialisées dans la synchronisation vivante vont faire
faillite, les bonimenteurs ne trouveront plus de travail dans les
salles obscures. Ces années seront peut-être aussi nécessaires à
la création d'un langage visuel, le découpage et les possibilités
narratives et expressives du montage vont s'élaborer.
1926
: avènement du parlant :
L'avènement
du cinéma sonore et parlant est effectif aux États-Unis avec deux
films d'Alan Crossland, Don Juan, un opéra filmé en 1926, et Jazz
Singer un an après. Pour l'anecdote, ce dernier ne comporte qu'une
minute et vingt secondes de paroles synchrones : un monologue et une
chanson ; le reste ne manque pas d'intertitres et n'a de sonore que
la musique enregistrée. Il n'en fut pas moins un grand succès
commercial aux États-Unis.
Le
parlant ne fut vraiment au point que vers 1930-31 (entraînant la
stabilisation de la prise de vue au cinéma à 24 images par seconde
et une légère modification du ratio d’image pour laisser la place
à une piste de son optique, c’est à dire un passage d’un format
d’image de 1.33 pour 1 à 1.375 pour 1).
Maintes
querelles opposent les défenseurs du cinéma muet et ceux du
parlant. L’argument majeur des premiers est le regret de ladite
universalité du cinéma. Charles Chaplin refusa, par exemple,
pendant longtemps le parlant, (tout en se réjouissant de
l’enregistrement musicale), car il trouvait que le cinéma y
perdait une part de sa dimension universelle, le jeu plus expressif
du muet étant une sorte d’espéranto lisible par tous les publics
internationaux.
Avec
le parlant vont naître les cinémas nationaux puisque les films ne
seront plus automatiquement exportables et que le public de chaque
pays réclame des œuvres dans sa propre langue. Or, on ne connaît
pas encore le doublage, ni les sous-titres. Les producteurs résolvent
ce problème de façon bien singulière en tournant pendant quatre ou
cinq ans des films « en versions multiples », c'est-à-dire, à
l'origine, des films tournés simultanément dans le même studio, en
plusieurs langues. Le metteur en scène et l'équipe technique sont
les mêmes en général.
Pour
les acteurs, les cas de figure varient ; selon que la vedette est
polyglotte ou non, elle reste la même alors que le reste de la
troupe, à l'exception des figurants, peut changer.
Par
la suite la technologie de la reproduction sonore en salle pour le
cinéma n’évolua quasiment pas dans cette première période
jusque dans les années 1970 et l’arrivée du Dolby Stéréo qui
est certes une nouveauté mais toujours en son optique et qui ne
changea au fond pas grand chose aux rapports du spectateur vis à vis
du cinéma jusqu’à l’arrivée du son numérique en 1992.
Du
côté de la prise de son, l’arrivée de l’enregistrement
magnétique, inventé en 1935, arriva au cinéma principalement dans
les années 1950 en facilitant grandement les choses. Le numérique
arrivant dans ce rôle lui bien plus tard, progressivement, dans la
seconde moitié des années 1990, jusqu’à supplanter seulement
actuellement les enregistreurs analogiques ; celui ci facilite
l’enregistrement stéréo au moment du tournage ce qui n’était
que rarement le cas au cinéma précédemment.
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