mercredi 14 janvier 2015

L'apparition du son au cinéma

En effet, après de nombreuses expériences de synchronisation du son (particulièrement de la musique) et de l’image, c’est à partir du film de 1927 The Jazz Singer, film d’Alan Crosland, que le cinéma devient réellement sonore.
Les paroles synchrones de l’acteur Al Johnson furent un choc même si le système «Vitaphone » (de synchronisation d’un disque et de la pellicule) utilisé sur ce film n’était qu’une technique intermédiaire. Pendant les trente premières années du cinéma, que l'on nomme génériquement le « cinéma muet », les projections sont loin d'être silencieuses ; il y a dans la salle un bonimenteur, une musique d'accompagnement, ou même parfois des essais de «synchronisation vivante » avec des acteurs ou des chanteurs cachés derrière l'écran, éventuellement en liaison avec un système de bruitage. 

Le bonimenteur :
Les bonimenteurs racontent, commentent l'action, la situent dans l'espace et le temps, prêtent leur voix aux acteurs, révèlent leurs pensées, leurs sentiments. Ils lisent les intertitres à un public majoritairement analphabète (le cinéma est à ses débuts un spectacle de foire), les traduisent aussi pour les films étrangers.
Ces intertitres, de la simple explication à l'interprétation, doublent un temps le rôle du bonimenteur jusqu'à l'éclipser tout à fait (vers 1909 pour la France, le langage cinématographique s'élaborant alors que le public se familiarise avec les images animées). Leur emploi est aussi varié. Ils présentent les protagonistes, les acteurs, donnent des indications spatio-temporelles, résument les ellipses narratives, annoncent la suite des événements ou retranscrivent les dialogues. Quels dialogues direz-vous ? Ceux auxquels la caméra reste sourde lorsqu'elle filme l'agitation incessante des lèvres d'acteurs qui se parlent, téléphonent et même chantent. Ce cinéma, dit muet a posteriori (plutôt « sourd » selon Chion), loin de nier la voix ou d'en faire le deuil, la fait imaginer. 

La musique :
La musique est le plus souvent jouée en « direct » dans la salle au cours de la projection ; par un pianiste, une petite formation ou un orchestre qui interprètent une partition généralement constituée d'un enchaînement de morceaux existants et arrangés pour l'occasion ou, parfois, une partition originale.
Nombreux sont les compositeurs à écrire pour le cinéma ou pour le ballet mais les conditions dans lesquelles leurs œuvres sont données ne peuvent toujours les satisfaire. Si dans les grandes villes, où plusieurs théâtres se sont convertis en salles de cinéma, on dispose de leur orchestre, dans les plus petites, les films passent avec un accompagnement quelconque.


Bruits de coulisses et « synchronisation vivante » :
Pour gagner en vraisemblance, on a recours à tout un matériel de bruitage, du plus improvisé au plus perfectionné. Mais cet attirail encombrant, sinon coûteux, n'est pas à la portée de la plupart des exploitants de cinéma.
Ceux-ci doivent généralement se contenter d'une petite table supportant une tôle rouillée, un timbre de sonnerie, une trompe d'auto, un sifflet, un pistolet et aussi un panier plein de tessons.
Un article de Ciné-journal du 17 mai 1909, présente le cinémultiphone Rousselot, « ce meuble électrique à clavier capable de produire soixante bruits fondateurs destinés à accompagner les films ».


Les procédés techniques (mécaniques et optiques) :
C'est à ces modes de sonorisation extra cinématographiques, si l'on peut dire, que le public est habitué jusqu'à l'avènement du parlant.
Pourtant, parallèlement, pendant les quinze premières années, en France (Auguste Baron, Pathé, Gaumont, Joly...), aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et dans les pays scandinaves, les brevets et bricolages en tous genres présentés aux expositions universelles pour inventer le film parlant se multiplient. Les appareils de prises de vues et de projection à peine inventés, on pense à les accoupler mécaniquement à leur frère aîné, le phonographe. Ces systèmes d'asservissement d'un magnétophone à la caméra et au projecteur par un moteur électrique révèlent presque toujours une mauvaise synchronisation. Non seulement les syllabes prononcées ne correspondent pas toujours aux mouvements des lèvres mais il n'est pas rare d'entendre encore la voix quand la bouche est visiblement fermée.
Ce problème essentiel ne sera dépassé qu'avec le chronophone Gaumont (présenté à l'exposition universelle de 1900, amélioré en 1902, il n'est lancé commercialement qu'en août 1906) puis avec le chronomégaphone (1908) qui permet l'amplification des sons nécessaire aux projections dans les grandes salles mais du même coup celle des bruits parasites et distorsions qui rendent parfois la scène inaudible.
Pourtant plusieurs de ces systèmes (celui de Gaumont et, entre autres, son équivalent chez le concurrent direct, Pathé) ont une petite vie commerciale. Les premiers essais sont des bandes chantées par les vedettes de l'époque, Yvette Guilbert avec Le Fiacre, La Berceuse verte (Pathé, 1905) ou des scènes d'opéras et d'opérette ou encore des monologues comiques. Cependant, assez vite, les difficultés techniques d'enregistrement limitent la variété de ces scènes chantantes. On ne peut filmer acteurs et chanteurs devant un cornet et une deuxième opération reste nécessaire, en 1906 comme en 1896, pour synchroniser leurs gestes et leurs paroles devant la caméra.
C'est tout simplement du play-back.

Les autres tentatives, qui aboutiront en 1926, sont les procédés d'enregistrement du son sur film au moyen de procédés optiques. Le frottement de l'aiguille, l'usure du disque, la nécessité d'utiliser plusieurs disques pour les films parlants de quelque longueur l'ont amené à collaborer avec deux ingénieurs danois, Petersen et Poulsen, pour mettre au point les films sonores exploités par la suite. En Angleterre, les recherches de Lauste entreprises depuis 1904 sont couronnées par l'obtention d'un premier brevet en août 1907, puis de deux autres en 1908 et 1910. Ce dernier, adopté en 1930 avec une guerre internationale des brevets, permet la réalisation des premiers enregistrements photo-électriques des sons sur film selon un procédé dit, plus tard, à « élongation variable ». Quelques années de mise au point seront nécessaires avant que ce procédé ne modifie irrémédiablement la production.


Retard du parlant :
Les problèmes techniques ont pu, après l'engouement de la nouvelle attraction, décourager le public, mais d'autres raisons conjuguées vont retarder l'arrivée du parlant : le changement du système d'exploitation a entraîné une crise économique à la fin de cette première décennie (le « parlant » est à la portée des seules grandes salles) ; selon les historiens, le « sujet » est alors en crise et, les premiers essais de cinéma parlant ont semblé d'une nouveauté limitée. Peut-être la « soif du verbe » elle-même s'est atténuée, la parole n'étant plus sentie comme un manque.
Les maisons spécialisées dans la synchronisation vivante vont faire faillite, les bonimenteurs ne trouveront plus de travail dans les salles obscures. Ces années seront peut-être aussi nécessaires à la création d'un langage visuel, le découpage et les possibilités narratives et expressives du montage vont s'élaborer.


1926 : avènement du parlant :
L'avènement du cinéma sonore et parlant est effectif aux États-Unis avec deux films d'Alan Crossland, Don Juan, un opéra filmé en 1926, et Jazz Singer un an après. Pour l'anecdote, ce dernier ne comporte qu'une minute et vingt secondes de paroles synchrones : un monologue et une chanson ; le reste ne manque pas d'intertitres et n'a de sonore que la musique enregistrée. Il n'en fut pas moins un grand succès commercial aux États-Unis.
Le parlant ne fut vraiment au point que vers 1930-31 (entraînant la stabilisation de la prise de vue au cinéma à 24 images par seconde et une légère modification du ratio d’image pour laisser la place à une piste de son optique, c’est à dire un passage d’un format d’image de 1.33 pour 1 à 1.375 pour 1).

Maintes querelles opposent les défenseurs du cinéma muet et ceux du parlant. L’argument majeur des premiers est le regret de ladite universalité du cinéma. Charles Chaplin refusa, par exemple, pendant longtemps le parlant, (tout en se réjouissant de l’enregistrement musicale), car il trouvait que le cinéma y perdait une part de sa dimension universelle, le jeu plus expressif du muet étant une sorte d’espéranto lisible par tous les publics internationaux.

Avec le parlant vont naître les cinémas nationaux puisque les films ne seront plus automatiquement exportables et que le public de chaque pays réclame des œuvres dans sa propre langue. Or, on ne connaît pas encore le doublage, ni les sous-titres. Les producteurs résolvent ce problème de façon bien singulière en tournant pendant quatre ou cinq ans des films « en versions multiples », c'est-à-dire, à l'origine, des films tournés simultanément dans le même studio, en plusieurs langues. Le metteur en scène et l'équipe technique sont les mêmes en général.
Pour les acteurs, les cas de figure varient ; selon que la vedette est polyglotte ou non, elle reste la même alors que le reste de la troupe, à l'exception des figurants, peut changer.
Par la suite la technologie de la reproduction sonore en salle pour le cinéma n’évolua quasiment pas dans cette première période jusque dans les années 1970 et l’arrivée du Dolby Stéréo qui est certes une nouveauté mais toujours en son optique et qui ne changea au fond pas grand chose aux rapports du spectateur vis à vis du cinéma jusqu’à l’arrivée du son numérique en 1992.
Du côté de la prise de son, l’arrivée de l’enregistrement magnétique, inventé en 1935, arriva au cinéma principalement dans les années 1950 en facilitant grandement les choses. Le numérique arrivant dans ce rôle lui bien plus tard, progressivement, dans la seconde moitié des années 1990, jusqu’à supplanter seulement actuellement les enregistreurs analogiques ; celui ci facilite l’enregistrement stéréo au moment du tournage ce qui n’était que rarement le cas au cinéma précédemment.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire